Pigalle - Rire Et Pleurer (1993)

PETIT HISTORIQUE D UN GROUPE MYTHIQUE PLUS ACTUEL QUE JAMAIS est la première formation à laquelle contribuera le grassouillet touche-à-tout musical, véritable homme-orchestre du Paris underground. Si certains textes rappellent l autre formation majeure d Hadji-Lazaro, les Garçons Bouchers, Pigalle n en conserve pas moins sa spécificité. Moins marqués par le punk, la oï et le ska, les Pigalle touchent du doigt les prémices de la chanson française néo-réaliste, offrant un univers plus tourmenté, plus sombre et plus noir que celui des Bouchers, véritable décalque sonore d une bande dessinée de Tardi ou d un roman de Léo Malet où s entrechoquent les influences de Brel, de Piaf et des chansonniers de l entre-deux-guerres. Même si certaines chansons ne dédaignent pas le recours à un humour bienvenu (« L Eboueur », « La Patate »...), l immense majorité de la production de Pigalle n en reste pas moins marquée par une nostalgie d un Paris idéalisé des années 30 et 50 et le charme maussade de la dépression ordinaire des classes ouvrières et des défavorisés ( « Marie la Rouquine », « Sophie de Nantes », « En-haut », « En-bas », « Les Lettres de l autoroute », « Dans la salle du bar-tabac de la rue des martyrs... »). La composition de Pigalle évoluera au gré des années, de telle sorte qu établir une liste complète des musiciens ayant contribué à l aventure est extrêmement ardue. D abord duettistes, les membres de Pigalle passeront à cinq lors de certains concerts, accueillant aussi bien des indépendants que des transfuges des Garçons Bouchers. Daniel Hennion lui-même ne sera parfois pas de l aventure, laissant la place de bassiste à Boubouche lors des dernières années de l existence du groupe. En 1990, sort l album Regards affligés sur la morne et pitoyable existence de Benjamin Tremblay, personnage falot mais o combien attachant, premier concept-album du rock alternatif français, dont chaque titre est l évocation d une tranche de vie du personnage principal, Benjamin Tremblay, paumé errant de bars en bars, d aventures sans lendemain en déceptions sentimentales, et de boulots minables en jobs eu gratifiants. L album est un succès et renouvelle l intérêt d un certain public pour la chanson et le néo-réalisme sans fioriture. Mis en valeur par les instruments les plus incongrus (vielles, mandolines, banjos, guimbardes...) Regards affligés est une authentique réussite artistique, délicate et subtile à mettre au crédit de François Hadji-Lazaro et de Pigalle. Une série de concerts en France, au Japon et aux Etats-Unis - dont sera tiré le live Pigallive - constitue une consécration pour l album et le groupe, d autant que Pigalle n hésite pas à multiplier les rappels et les titres inédits sur scène. En 1993, le groupe transforme l essai avec Rire et pleurer, autre album oscillant entre la joie de vivre et le désespoir, faisant de Pigalle l un des groupes phares d une certaine scène française, mêlant sonorités trash et musette, originalité et classicisme. C est également l un des albums les plus politisés et revendicatifs du groupe. Des titres comme « Crime contre l humanité » ( le pape a dit...), « On assassine Belleville » , ou encore « Paris 2034, vingtième jour d insurrection » sont révélateurs des choix éthiques d Hadji-Lazaro et de ses condisciples.