Lou Levy - By Myself (1995)

Avec ce disque paru en 1995 sous le label Verve, Lou Levy signe son oeuvre ultime, la plus intime aussi. Né en 1928 et décédé en 2001, le pianiste natif de Chicago possédait un style directement influencé par Bud Powell (jeu aéré, notes perlées, sens du tempo, toucher exceptionnel). Mais ce qui prime ici, ce n'est pas la vitesse d'exécution; l'album s'apparente plutôt à un recueil de balades inoubliables... Quand on sait l'élégance, le raffinement et même la discrétion du pianiste, on comprend vite pourquoi celui-ci a gagné la confiance de bon nombre de chanteurs et chanteuses. D’ailleurs, avec qui n'a-t-il pas joué ? De Frank Sinatra à Ella Fitzgerald en passant par Tony Bennett et Anita O’Day (1), Lou Levy s’est constitué une carte de visite impressionnante au fil des années... Si l'on y ajoute ses collaborations avec de nombreux saxophonistes, de Sonny Stitt à Stan Getz en passant par Warne Marsch et Coleman Hawkins, l’on comprendra vite pourquoi Lou Levy avait développé un jeu très mélodique, très proche du chant. Mieux encore : en posant les doigts sur son clavier, Lou savait raconter des histoires très personnelles, à fleur de peau, avec ce sentiment de vécu qui le caractérisait tant... Sa discographie en leadeur étant assez rachitique et assez inégale (à peine une dizaine de disques), il est vivement recommandé de se procurer ce magnifique enregistrement de piano solo ! « By Myself » qui clôt très discrètement une trilogie publiée au début des années 90 (dans la collection Gitanes Jazz) est bel et bien le chant du cygne du pianiste (Lunarcy fut enregistré en 1991 et Ya Know en 1993, le premier disque présentait une formation en quartette, le deuxième en trio...). Des trois, « By Myself » m'apparaît comme le plus réussi bien entendu (2). En tout cas, c’est celui que je préfère, celui que je chéris le plus... Jamais le pianiste ne m'avait paru aussi proche de son piano, au point de faire UN avec lui... Nous sommes donc bien en présence d'une rareté !
En règle générale, je ne suis pas très fan de tous ces disques de piano solo (3), mais cette galette possède un tel charme, une telle tendresse, une telle singularité aussi, que l’auditeur ou l'auditrice ne pourra que s'émerveiller... Comment ne pas succomber en effet à l’écoute de « I Believe In You » ou de « Lost in Loveliness » ? Chaque titre possède son identité propre, sa douceur. Et chose peu commune, surtout dans un album de balades, le pianiste accélère parfois le tempo, donne des variations sublimes. La qualité de la prise de son étant à ce point exceptionnelle, je rajouterai que de passer à côté serait vraiment dommage ! Vous pourriez même le regretter !
Fermez donc les yeux et laissez-vous porter… Lou Levy ne met jamais en avant sa technique (ou pour le dire autrement, sa technique sert avant tout la Musique)... Les écoutes successives révèlent un trésor musical inestimable. Harmoniquement, c’est d'une richesse inouïe. D'ailleurs, dès le premier thème, « Love Walked In », l’assurance et l’agilité dont fait preuve le pianiste défient la redite inutile et la caricature grossière. Les thèmes suivants sont du même acabit et surtout de la même sensibilité : « Embraceable You » avec ses variations rythmiques et harmoniques, son sens du contrepoint, est de toute beauté. « By Myself » (4) démarre timidement, mais la tendresse du pianiste (sans que celle-ci ne soit mièvre) est toujours réelle, et mine de rien, c’est cette sensibilité-là qui me touche (on ne parlera pas de sensiblerie par ici, c'est là toute la différence!!!). « O Grande Amor » de Jobim est un autre sommet de cette galette indispensable (ostinatos savoureux à la main gauche, mélodies transfigurées). Quant au rythme lent et carrément surréaliste de « How High The Moon », il fallait oser ! De bout en bout, Lou Levy se révèle surprenant d'inventivité (« Close Enough For Love ») et toutes les pièces brillent d'une fraîcheur exquise, un peu comme la rosée du matin. En proposant un répertoire constitué essentiellement de standards ("Embraceable You", "Everything Happens To Me", "How High The Moon", "You're Driving Me Crazy"), la prise de risque était donc grande. Mais Lou Levy réussit haut la main à nous donner des versions très personnelles teintées de cette douce lumière (la pochette est sublime et correspond tout à fait à l'ambiance du disque). Bref, vous l'avez compris, même si l’album ne couvre que 45 minutes, ça reste du très, très grand Art ! Un disque exceptionnel pour tous les amoureux de piano jazz. La grande classe et la finesse d’un pianiste au sommet de ses moyens. Ce fut malheureusement son dernier opus avant de s’éteindre cinq ans plus tard.